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LE VENTRE DE PARIS.

point, il ne savait pas même faire une commission. Elle, était très-rouée. À huit ans, elle se fit enrôler par une de ces marchandes qui s’assoient sur un banc, autour des Halles, avec un panier de citrons, que toute une bande de gamines vendent sous leurs ordres ; elle offrait les citrons dans sa main, deux pour trois sous, courant après les passants, poussant sa marchandise sous le nez des femmes, retournant s’approvisionner, quand elle avait la main vide ; elle touchait deux sous par douzaine de citrons, ce qui mettait ses journées jusqu’à cinq et six sous, dans les bons temps. L’année suivante, elle plaça des bonnets à neuf sous ; le gain était plus fort ; seulement, il fallait avoir l’œil vif, car ces commerces en plein vent sont défendus ; elle flairait les sergents de ville à cent pas, les bonnets disparaissaient sous ses jupes, tandis qu’elle croquait une pomme, d’un air innocent. Puis, elle tint des gâteaux, des galettes, des tartes aux cerises, des croquets, des biscuits de maïs, épais et jaunes, sur des claies d’osier ; mais Marjolin lui mangea son fonds. Enfin, à onze ans, elle réalisa une grande idée qui la tourmentait depuis longtemps. Elle économisa quatre francs en deux mois, fit l’emplette d’une petite hotte, et se mit marchande de mouron.

C’était toute une grosse affaire. Elle se levait de bon matin, achetait aux vendeurs en gros sa provision de mouron, de millet en branche, d’échaudés ; puis elle partait, passait l’eau, courait le quartier Latin, de la rue Saint-Jacques à la rue Dauphine, et jusqu’au Luxembourg. Marjolin l’accompagnait. Elle ne voulait pas même qu’il portât la hotte ; elle disait qu’il n’était bon qu’à crier ; et il criait sur un ton gras et traînant :

— Mouron pour les p’tits oiseaux !

Et elle reprenait, avec des notes de flûte, sur une étrange phrase musicale qui finissait par un son pur et filé, très haut :