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LES ROUGON-MACQUART.

quelque peine ou par quelque joie, elle trouvait des bouquets d’un gris d’argent, très-doux, voilés, d’une odeur discrète. Puis, c’étaient des roses, saignantes comme des cœurs ouverts, dans des lacs d’œillets blancs ; des glaïeuls fauves, montant en panaches de flammes parmi des verdures effarées ; des tapisseries de Smyrne, aux dessins compliqués, faites fleur à fleur, ainsi que sur un canevas ; des éventails moirés, s’élargissant avec des douceurs de dentelle ; des puretés adorables, des tailles épaissies, des rêves à mettre dans les mains des harengères ou des marquises, des maladresses de vierge et des ardeurs sensuelles de fille, toute la fantaisie exquise d’une gamine de douze ans, dans laquelle la femme s’éveillait.

Cadine n’avait plus que deux respects : le respect du lilas blanc, dont la botte de huit à dix branches coûte, l’hiver, de quinze à vingt francs ; et le respect des camélias, plus chers encore, qui arrivent par douzaines, dans des boîtes, couchés sur un lit de mousse, recouverts d’une feuille d’ouate. Elle les prenait, comme elle aurait pris des bijoux, délicatement, sans respirer, de peur de les gâter d’un souffle ; puis, c’était avec des précautions infinies qu’elle attachait sur des brins de jonc leurs queues courtes. Elle parlait d’eux sérieusement. Elle disait à Marjolin qu’un beau camélia blanc, sans piqûre de rouille, était une chose rare, tout à fait belle. Comme elle lui en faisait admirer un, il s’écria, un jour :

— Oui, c’est gentil, mais j’aime mieux le dessous de ton menton, là, à cette place ; c’est joliment plus doux et plus transparent que ton camélia… Il y a des petites veines bleues et roses qui ressemblent à des veines de fleur.

Il la caressait du bout des doigts ; puis il approcha le nez, murmurant :

— Tiens, tu sens l’oranger, aujourd’hui.

Cadine avait un très-mauvais caractère. Elle ne s’accom-