Page:Emile Zola - Le Ventre de Paris.djvu/270

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
270
LES ROUGON-MACQUART.

en robe blanche, les canadas sanguines, les châtaigniers couperosées, les reinettes blondes, piquées de rousseur ; puis, les variétés des poires, la blanquette, l’angleterre, les beurrés, les messire-jean, les duchesses, trapues, allongées, avec des cous de cygne ou des épaules apoplectiques, les ventres jaunes et verts, relevés d’une pointe de carmin. À côté, les prunes transparentes montraient des douceurs chlorotiques de vierge ; les reine-Claude, les prunes de monsieur, étaient pâlies d’une fleur d’innocence ; les mirabelles s’égrenaient comme les perles d’or d’un rosaire, oublié dans une boîte avec des bâtons de vanille. Et les fraises, elles aussi, exhalaient un parfum frais, un parfum de jeunesse, les petites surtout, celles qu’on cueille dans les bois, plus encore que les grosses fraises de jardin, qui sentent la fadeur des arrosoirs. Les framboises ajoutaient un bouquet à cette odeur pure. Les groseilles, les cassis, les noisettes, riaient avec des mines délurées ; pendant que des corbeilles de raisins, des grappes lourdes, chargées d’ivresse, se pâmaient au bord de l’osier, en laissant retomber leurs grains roussis par les voluptés trop chaudes du soleil.

La Sarriette vivait là, comme dans un verger, avec des griseries d’odeurs. Les fruits à bas prix, les cerises, les prunes, les fraises, entassés devant elle sur des paniers plats, garnis de papier, se meurtrissaient, tachaient l’étalage de jus, d’un jus fort qui fumait dans la chaleur. Elle sentait aussi la tête lui tourner, en juillet, par les après-midi brûlantes, lorsque les melons l’entouraient d’une puissante vapeur de musc. Alors, ivre, montrant plus de chair sous son fichu, à peine mûre et toute fraîche de printemps, elle tentait la bouche, elle inspirait des envies de maraude. C’était elle, c’étaient ses bras, c’était son cou, qui donnaient à ses fruits cette vie amoureuse, cette tiédeur satinée de femme. Sur le banc de vente, à côté, une vieille marchande, une ivrognesse affreuse, n’étalait que des pommes ridées, des