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LES ROUGON-MACQUART.

Sarriette. Au pavillon du beurre, une voisine leur dit que madame Lecœur était à la cave. La Sarriette descendit la chercher, pendant que la vieille s’installait au milieu des fromages.

En bas, la cave était très-sombre ; le long des ruelles, les resserres sont tendues d’une toile métallique à mailles fines, par crainte des incendies ; les becs de gaz, fort rares, font des taches jaunes sans rayons, dans la buée nauséabonde, qui s’alourdit sous l’écrasement de la voûte. Mais, madame Lecœur travaillait le beurre, sur une des tables placées le long de la rue Berger. Les soupiraux laissent tomber un jour pâle. Les tables, continuellement lavées à grande eau par des robinets, ont des blancheurs de tables neuves. Tournant le dos à la pompe du fond, la marchande pétrissait « la maniotte, » au milieu d’une boîte de chêne. Elle prenait, à côté d’elle, les échantillons des différents beurres, les mêlait, les corrigeait l’un par l’autre, ainsi qu’on procède pour le coupage des vins. Pliée en deux, les épaules pointues, les bras maigres et noueux, comme des échalas, nus jusqu’aux épaules, elle enfonçait furieusement les poings dans cette pâte grasse qui prenait un aspect blanchâtre et crayeux. Elle suait, elle poussait un soupir à chaque effort.

— C’est mademoiselle Saget qui voudrait vous parler, ma tante, dit la Sarriette.

Madame Lecœur s’arrêta, ramena son bonnet sur ses cheveux, de ses doigts pleins de beurre, sans paraître avoir peur des taches.

— J’ai fini, qu’elle attende un instant, répondit-elle.

— Elle a quelque chose de très-intéressant à vous dire.

— Rien qu’une minute, ma petite.

Elle avait replongé les bras. Le beurre lui montait jusqu’aux coudes. Amolli préalablement dans l’eau tiède, il huilait sa chair de parchemin, faisant ressortir les grosses