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LE VENTRE DE PARIS.

sions, il parlait de la prochaine bataille comme d’une fête à laquelle tous les braves gens seraient conviés. Mais si Gavard ravi jouait alors avec son revolver, Charvet devenait plus aigre, ricanait en haussant les épaules. L’attitude de chef de complot prise par son rival le mettait hors de lui, le dégoûtait de la politique. Un soir que, venu de bonne heure, il se trouvait seul avec Logre et monsieur Lebigre, il se soulagea.

— Un garçon, dit-il, qui n’a pas deux idées en politique, qui aurait mieux fait d’entrer comme professeur d’écriture dans un pensionnat de demoiselles… Ce serait un malheur, s’il réussissait, car il nous mettrait ses sacrés ouvriers sur les bras, avec ses rêvasseries sociales. Voyez-vous, c’est ça qui perd le parti. Il n’en faut plus, des pleurnicheurs, des poètes humanitaires, des gens qui s’embrassent à la moindre égratignure… Mais il ne réussira pas. Il se fera coffrer, voilà tout.

Logre et le marchand de vin ne bronchèrent pas. Ils laissaient aller Charvet.

— Et il y a longtemps, continua-t-il, qu’il le serait, coffré, s’il était aussi dangereux qu’il veut le faire croire. Vous savez, avec ses airs retour de Cayenne… Ça fait pitié. Je vous dis que la police, dès le premier jour, a su qu’il était à Paris. Si elle l’a laissé tranquille, c’est qu’elle se moque de lui.

Logre eut un léger tressaillement.

— Moi, on me file depuis quinze ans, reprit l’hébertiste avec une pointe d’orgueil. Je ne vais pourtant pas crier cela sur les toits… Seulement, je n’en serai pas de sa bagarre. Je ne veux point me laisser pincer comme un imbécile… Peut-être a-t-il une demi-douzaine de mouchards à ses trousses, qui vous le prendront au collet, le jour où la préfecture aura besoin de lui…

— Oh ! non, quelle idée ! dit monsieur Lebigre qui ne parlait jamais.