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LES ROUGON-MACQUART.

ne se passait là, sans qu’elle finît par le deviner, à certaines révélations brusques de ces bras et de ces têtes qui surgissaient silencieusement. Elle devint très-forte, interpréta les nez allongés, les doigts écartés, les bouches fendues, les épaules dédaigneuses, suivit de la sorte la conspiration pas à pas, à ce point qu’elle aurait pu dire chaque jour où en étaient les choses. Un soir le dénoûment brutal lui apparut. Elle aperçut l’ombre du pistolet de Gavard, un profil énorme de revolver, tout noir dans la pâleur des vitres, la gueule tendue. Le pistolet allait, venait, se multipliait. C’était les armes dont elle avait parlé à madame Quenu. Puis, un autre soir, elle ne comprit plus, elle s’imagina qu’on fabriquait des cartouches, en voyant s’allonger des bandes d’étoffe interminables. Le lendemain, elle descendit à onze heures, sous le prétexte de demander à Rose si elle n’avait pas une bougie à lui céder ; et, du coin de l’œil, elle entrevit, sur la table du cabinet, un tas de linges rouges qui lui sembla très-effrayant. Son dossier du lendemain eut une gravité décisive.

— Je ne voudrais pas vous effrayer, madame Quenu, dit-elle ; mais ça devient trop terrible… J’ai peur, ma parole ! Pour rien au monde, ne répétez ce que je vais vous confier. Ils me couperaient le cou, s’ils savaient.

Alors, quand la charcutière lui eut juré de ne pas la compromettre, elle lui parla des linges rouges.

— Je ne sais pas ce que ça peut être. Il y en avait un gros tas. On aurait dit des chiffons trempés dans du sang… Logre, vous savez, le bossu, s’en était mis un sur les épaules. Il avait l’air du bourreau… Pour sûr, c’est encore quelque manigance.

Lisa ne répondait pas, semblait réfléchir, les yeux baissés, jouant avec le manche d’une fourchette, arrangeant les morceaux de petit-salé dans leur plat. Mademoiselle Saget reprit doucement :