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LE VENTRE DE PARIS.

tranches de galantine ; elle aimait ça. Lisa, irritée déjà, jouant d’impatience avec le manche des couteaux, eut beau lui dire que la galantine était truffée, qu’elle ne pouvait en mettre que dans les assiettes assorties à trois francs la livre. L’autre continuait à fouiller les plats, cherchant ce qu’elle allait demander encore. Quand l’assiette assortie fut pesée, il fallut que la charcutière ajoutât de la gelée et des cornichons. Le bloc de gelée, qui avait la forme d’un gâteau de Savoie, au milieu d’une plaque de porcelaine, trembla sous sa main brutale de colère ; et elle fit jaillir le vinaigre, en prenant, du bout des doigts, deux gros cornichons dans le pot, derrière l’étuve.

— C’est vingt-cinq sous, n’est-ce pas ? dit madame Lecœur, sans se presser.

Elle voyait parfaitement la sourde irritation de Lisa. Elle en jouissait, tirant sa monnaie avec lenteur, comme perdue dans les gros sous de sa poche. Elle regardait Gavard en dessous, goûtait le silence embarrassé que sa présence prolongeait, jurant qu’elle ne s’en irait pas, puisqu’on faisait « des cachotteries » avec elle. La charcutière lui mit enfin son paquet dans la main, et elle dut se retirer. Elle s’en alla, sans dire un mot, avec un long regard, tout autour de la boutique.

Quand elle ne fut plus là, Lisa éclata.

— C’est encore la Saget qui nous l’a envoyée, celle-là ! Est-ce que cette vieille gueuse va faire défiler toutes les Halles ici, pour savoir ce que nous disons !… Et comme elles sont malignes ! A-t-on jamais vu acheter des côtelettes panées et des assiettes assorties à cinq heures du soir ! Elles se donneraient des indigestions, plutôt que de ne pas savoir… Par exemple, si la Saget m’en renvoie une autre, vous allez voir comme je la recevrai. Ce serait ma sœur, que je la flanquerais à la porte.

Devant la colère de Lisa, les trois hommes se taisaient.