Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/338

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
338
LES ROUGON-MACQUART.

 ? On lui avait donc changé le crâne, et les yeux, et les doigts ? Une telle fièvre l’exaltait, un tel besoin de s’épancher, qu’il finissait par appeler sa femme.

— Viens donc voir !… Hein ? est-elle plantée ? en a-t-elle, des muscles emmanchés finement ?… Cette cuisse-là, tiens ! baignée de soleil. Et l’épaule, ici, jusqu’au renflement du sein… Ah ! mon Dieu ! c’est de la vie, je la sens vivre, moi, comme si je la touchais, la peau souple et tiède, avec son odeur.

Christine, debout près de lui, regardait, répondait par des paroles brèves. Cette résurrection d’elle-même, après des années, telle qu’elle était, à dix-huit ans, l’avait d’abord flattée et surprise. Mais, depuis qu’elle le voyait se passionner ainsi, elle ressentait un malaise grandissant, une vague irritation sans cause avouée.

— Comment ! tu ne la trouves pas d’une beauté à s’agenouiller devant elle ?

— Si, si… Seulement, elle a noirci.

Claude protestait avec violence. Noirci, allons donc ! Jamais elle ne noircirait, elle avait l’immortelle jeunesse. Un véritable amour s’était emparé de lui, il parlait d’elle ainsi que d’une personne, avait de brusques besoins de la revoir, qui lui faisaient tout quitter, comme pour courir à un rendez-vous.

Puis, un matin, il fut pris d’une fringale de travail.

— Mais, nom d’un chien ! puisque j’ai fait ça, je puis bien le refaire… Ah ! cette fois, si je ne suis pas une brute, nous allons voir !

Et Christine, immédiatement, dut lui donner une séance de pose, car il était déjà sur son échelle, brûlant de se remettre à son grand tableau. Pendant un mois, il la tint huit heures par jour, nue, les