Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
121
SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

dans un coin de la place, un tout petit groupe. Devant eux, le défilé grossissait, les magistrats en robe, les officiers en grande tenue, les fonctionnaires en uniforme, une foule galonnée, chamarrée, décorée, qui piétinait les fleurs dont la place était couverte, au milieu des appels des valets de pied et des roulements brusques des équipages. La gloire de l’empire à son apogée flottait dans la pourpre du soleil couchant, tandis que les tours de Notre-Dame, toutes roses, toutes sonores, semblaient porter très-haut, à un sommet de paix et de grandeur, le règne futur de l’enfant baptisé sous leurs voûtes. Mais eux, mécontents, ne sentaient qu’une immense convoitise leur venir de la splendeur de la cérémonie, des cloches sonnantes, des bannières déployées, de la ville enthousiaste, de ce monde officiel épanoui. Rougon, qui pour la première fois, éprouvait le froid de sa disgrâce, avait la face très-pâle ; et, rêvant, il jalousait l’empereur.

— Bonsoir, je m’en vais, c’est assommant, dit Du Poizat, après avoir serré la main aux autres.

— Qu’avez-vous donc, aujourd’hui ? lui demanda le colonel. Vous êtes bien féroce.

Et le sous-préfet répondit tranquillement, en s’en allant :

— Tiens ! pourquoi voulez-vous que je sois gai !… J’ai lu ce matin, au Moniteur, la nomination de cet imbécile de Campenon à la préfecture qu’on m’avait promise.

Les autres se regardèrent. Du Poizat avait raison, ils n’étaient pas de la fête. Rougon, dès la naissance du prince, leur avait promis toute une pluie de cadeaux pour le jour du baptême : M. Kahn devait avoir sa concession ; le colonel, la croix de commandeur ; madame Correur, les cinq ou six bureaux de tabac qu’elle sollicitait. Et ils étaient tous là, en un petit tas, dans un coin de la place,