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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

ses bas sales et ses bottines éculées sur les trottoirs les jours de pluie, cherchait un mari avec des sourires hardis de femme faite. M. La Rouquette raconta que, chez le chevalier Rusconi, le légat d’Italie, elle était arrivée, un soir de bal, en Diane chasseresse, si nue, qu’elle avait failli être demandée en mariage, le lendemain, par le vieux M. de Nougarède, un sénateur très-friand. Et, pendant cette histoire, les trois députés jetaient des regards sur la belle Clorinde, qui, malgré le règlement, regardait les membres de la Chambre les uns après les autres, à l’aide d’une grosse jumelle de théâtre.

— Non, non, répéta M. Kahn, jamais Rougon ne serait assez fou !… Il la dit très-intelligente, et il la nomme en riant « mademoiselle Machiavel ». Elle l’amuse, voilà tout.

— N’importe, conclut M. Béjuin, Rougon a tort de ne pas se marier… Ça asseoit un homme.

Alors, tous trois tombèrent d’accord sur la femme qu’il faudrait à Rougon : une femme d’un certain âge, trente-cinq ans au moins, riche, et qui tînt sa maison sur un pied de haute honnêteté.

Cependant une clameur montait. Ils s’oubliaient à ce point dans leurs anecdotes scabreuses, qu’ils ne s’apercevaient plus de ce qui se passait autour d’eux. Au loin, au fond des couloirs, on entendait la voix perdue des huissiers qui criaient : « En séance, messieurs, en séance ! » Et des députés arrivaient de tous les côtés, par les portes d’acajou massif, ouvertes à deux battants, montrant les étoiles d’or de leurs panneaux. La salle, jusque là à moitié vide, s’emplissait peu à peu. Les petits groupes, causant d’un air d’ennui d’un banc à l’autre, les dormeurs, étouffant leurs bâillements, étaient noyés dans le flot montant, au milieu d’une distribution considérable de poignées de main. En s’asseyant à leurs places,