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LES ROUGON-MACQUART.

blantes, comme attiré par une force supérieure. Mais, lorsqu’il se fut approché, elle ouvrit les yeux tout grands, elle le regarda d’un air tranquille. Et montrant la pendule, souriant, elle reprit :

— Ça fait dix billets.

— Comment, dix billets ? balbutia-t-il, ne comprenant plus.

Quand il revint à lui, elle riait aux éclats. Elle se plaisait ainsi à l’affoler ; puis, elle lui échappait d’un mot, lorsqu’il allait ouvrir les bras ; cela paraissait l’amuser beaucoup. Rougon, redevenu tout d’un coup très-pâle, la regarda furieusement, ce qui redoubla sa gaieté.

— Allons, je m’en vais, dit-elle. Vous n’êtes pas assez galant pour les dames… Non, sérieusement, maman m’attend pour déjeuner.

Mais il avait repris son air paternel. Ses yeux gris, sous ses lourdes paupières, gardaient seuls une flamme, lorsqu’elle tournait la tête : et il l’enveloppait alors tout entière d’un regard, avec la rage d’un homme poussé à bout, résolu à en finir. Cependant, il disait qu’elle pouvait bien lui donner encore cinq minutes. C’était si ennuyeux, le travail dans lequel elle l’avait trouvé, un rapport pour le Sénat, sur des pétitions ! Et il lui parla de l’impératrice, à laquelle elle vouait un véritable culte. L’impératrice était à Biarritz depuis huit jours. Alors, la jeune fille se renversa de nouveau au fond de son fauteuil, dans un bavardage sans fin. Elle connaissait Biarritz, elle y avait passé une saison, autrefois, quand cette plage n’était pas encore à la mode. Elle se désespérait de ne pouvoir y retourner, pendant le séjour de la cour. Puis, elle en vint à raconter une séance de l’Académie, où M. de Plouguern l’avait menée, la veille. On recevait un écrivain, qu’elle plaisantait beaucoup, parce qu’il était chauve. Elle