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LES ROUGON-MACQUART.

lette, avec un papier à ramages bleu tendre, qu’elle avait meublé d’un grand bureau d’acajou déverni, appuyé au mur, d’un fauteuil de cuir et d’un cartonnier. Des paperasses traînaient sous une épaisse couche de poussière. On se serait cru chez un huissier louche. Elle dut aller chercher une chaise dans sa chambre.

— Je vous attendais, cria-t-elle du fond de cette pièce.

Quand elle eut apporté la chaise, elle expliqua qu’elle faisait sa correspondance. Elle montrait, sur le bureau, de larges feuilles de papier jaunâtre, couvertes d’une grosse écriture ronde. Et, comme Rougon s’asseyait, elle vit qu’il était en habit.

— Vous venez demander ma main ? dit-elle gaiement.

— Tout juste ! répondit-il.

Puis il reprit, en souriant :

— Pas pour moi, pour un de mes amis.

Elle le regarda, hésitante, ne sachant pas s’il plaisantait. Elle était dépeignée, sale, avec une robe de chambre rouge mal attachée, belle, malgré tout, de la beauté puissante d’un marbre antique roulé dans la boutique d’une revendeuse. Et, suçant un de ses doigts sur lequel elle venait de faire une tache d’encre, elle s’oubliait à examiner la légère cicatrice qu’on voyait encore sur la joue gauche de Rougon. Elle finit par répéter à demi-voix, d’un air distrait :

— J’étais sûre que vous viendriez. Seulement, je vous attendais plus tôt.

Et elle ajouta tout haut, se souvenant, continuant la conversation :

— Alors, c’est pour un de vos amis, votre ami le plus cher, sans doute.

Son beau rire sonnait. Elle était persuadée, maintenant, que Rougon parlait de lui. Elle éprouvait une envie de toucher du doigt la cicatrice, de s’assurer qu’elle l’avait