Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
146
LES ROUGON-MACQUART.

chetait à la cire. Elle avait allumé une bougie, elle regardait la cire flamber. Rougon attendait qu’elle eût fini, tranquillement.

— Et c’est pour ça que vous êtes venu ? reprit-elle enfin, sans lâcher sa besogne.

À son tour, il ne répondit pas. Il voulait la voir de face. Quand elle se décida à retourner son fauteuil, il lui sourit, en tâchant de rencontrer ses yeux : puis, il lui baisa la main, comme désireux de la désarmer. Elle gardait sa froideur hautaine.

— Vous savez bien, dit-il, que je viens vous demander en mariage pour un de mes amis.

Il parla longuement. Il l’aimait beaucoup plus qu’elle ne croyait ; il l’aimait surtout parce qu’elle était intelligente et forte. Cela lui coûtait de renoncer à elle ; mais il sacrifiait sa passion à leur bonheur à tous deux. Lui, la voulait reine chez elle. Il la voyait mariée à un homme très-riche, qu’elle pousserait à sa guise ; et elle gouvernerait, elle n’aurait pas à faire l’abandon de sa personnalité. Cela ne valait-il pas mieux que de se paralyser l’un l’autre ? Ils étaient gens à se dire ces vérités-là en face. Il finit par l’appeler son enfant. Elle était sa fille perverse, une créature dont l’esprit d’intrigue le réjouissait, et qu’il aurait éprouvé un véritable chagrin à voir pauvrement tourner.

— C’est tout ? demanda-t-elle quand il se tut.

Elle l’avait écouté avec la plus grande attention. Et, levant les yeux sur lui, elle reprit :

— Si vous me mariez pour m’avoir, je vous avertis que vous faites un mauvais calcul… J’ai dit jamais !

— Quelle idée ! s’écria-t-il, en rougissant légèrement.

Il toussa, il saisit sur le bureau un couteau à papier, dont il examina le manche, pour qu’elle ne vît pas son