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LES ROUGON-MACQUART.

Il respira bruyamment, il reprit, après s’être jeté de nouveau dans un fauteuil :

— N’importe, si Marsy a eu la majorité dans tous les départements, Paris n’en a pas moins nommé cinq députés de l’opposition… C’est le réveil. Que l’empereur laisse le pouvoir entre les mains de ce grand bellâtre de ministre et de ces préfets d’alcôve, qui, pour coucher librement avec les femmes, envoient les maris à la Chambre ; dans cinq ans d’ici, l’Empire ébranlé menacera ruine… Moi, je suis enchanté des élections de Paris. Je trouve que ça nous venge.

— Alors, si vous aviez été préfet ?… demanda Rougon de son air paisible, avec une si fine ironie, qu’elle plissait à peine les coins de ses grosses lèvres.

Du Poizat montra ses dents blanches mal rangées. Ses poings chétifs d’enfant malade serraient les bras du fauteuil, comme s’il avait voulu les tordre.

— Oh ! murmura-t-il, si j’avais été préfet…

Mais il n’acheva pas, il s’affaissa contre le dossier, en disant :

— Non, c’est écœurant, à la fin !… D’ailleurs, j’ai toujours été républicain, moi !

Cependant, devant la fenêtre, les dames se taisaient, la face tournée vers l’intérieur du salon, pour écouter ; tandis que M. d’Escorailles, un large éventail à la main, sans rien dire, éventait la jolie madame Bouchard, toute languissante, les tempes moites sous les haleines chaudes du jardin. Le colonel et M. Bouchard, qui venaient de recommencer une partie, cessaient de jouer par instants, approuvant ou désapprouvant ce qu’on disait, d’un hochement de tête. Un large cercle de fauteuils s’était formé autour de Rougon : Clorinde, attentive, le menton dans la main, ne risquait pas un geste ; Delestang souriait à sa femme, l’esprit occupé par quelque souvenir tendre ;