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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

jamais marchandé une décoration à un vieux soldat ? Est-ce que les rois légitimes auraient commis des passe-droits comme on en voyait chaque jour dans les bureaux ? Quand ils en furent venus à se traiter sourdement d’imbéciles, le colonel cria, en prenant furieusement ses cartes :

— Fichez-moi la paix ! entendez-vous, Bouchard !… J’ai un quatorze de dix et une quatrième au valet. Est-ce bon ?

Delestang, tiré de sa rêverie par la dispute, crut devoir défendre l’empire. Mon Dieu ! ce n’était pas que l’empire le contentât absolument. Il aurait voulu un gouvernement plus largement humain. Et il tâcha d’expliquer ses aspirations, une conception socialiste très-compliquée, l’extinction du paupérisme, l’association de tous les travailleurs, quelque chose comme sa ferme-modèle de la Chamade, en grand. Du Poizat disait d’ordinaire qu’il avait trop fréquenté les bêtes. Pendant que son mari parlait en hochant sa tête superbe de personnage officiel, Clorinde le regardait, avec une légère moue des lèvres.

— Oui, je suis bonapartiste, dit-il à plusieurs reprises ; je suis, si vous voulez, bonapartiste libéral.

— Et vous, Béjuin ? demanda brusquement M. Kahn.

— Mais moi aussi, répondit M. Béjuin, la bouche tout empâtée par ses longs silences ; c’est-à-dire, il y a des nuances, certainement… Enfin, je suis bonapartiste.

Du Poizat eut un rire aigu.

— Parbleu ! cria-t-il.

Et, comme on le pressait de s’expliquer, il continua crûment :

— Je vous trouve bons, vous autres ! On ne vous a pas lâchés. Delestang est toujours au conseil d’État. Béjuin vient d’être réélu.

— Ça s’est fait tout naturellement, interrompit celui-ci. C’est le préfet du Cher…