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LES ROUGON-MACQUART.

— Encore pour sa grande bête d’affaire peut-être ! continua-t-il. Moi je suis à bout. Un de ces soirs, vous verrez, je lui flanquerai à la figure tout ce que je pense.

— Chut ! dit Kahn, en posant un doigt sur ses lèvres.

L’ancien sous-préfet avait haussé la voix d’une façon inquiétante. Tous prêtèrent un moment l’oreille. Puis, ce fut M. Kahn lui-même qui recommença, très-bas :

— Sans doute, il a pris des engagements envers nous.

— Dites qu’il a contracté une dette, ajouta le colonel, en posant ses cartes.

— Oui, oui, une dette, c’est le mot, déclara M. Bouchard. Nous ne le lui avons pas mâché, le dernier jour, au Conseil d’État.

Et les autres appuyaient vivement de la tête. Il y eut une lamentation générale. Rougon les avait tous ruinés. M. Bouchard ajoutait que, sans sa fidélité au malheur, il serait chef de bureau depuis longtemps. À entendre le colonel, on était venu lui offrir la croix de commandeur et une situation pour son fils Auguste, de la part du comte de Marsy ; mais il avait refusé, par amitié pour Rougon. Le père et la mère de M. d’Escorailles, disait la jolie madame Bouchard, se trouvaient très froissés de voir leur fils rester auditeur, quand ils attendaient depuis six mois déjà sa nomination de maître des requêtes. Et même ceux qui ne disaient rien, Delestang, M. Béjuin, madame Correur, les Charbonnel, pinçaient les lèvres, levaient les yeux au ciel, d’un air de martyrs auxquels la patience commence à manquer.

— Enfin, nous sommes volés, reprit Du Poizat. Mais il ne partira pas, je vous en réponds ! Est-ce qu’il y a du bon sens à aller se battre avec des cailloux, dans je ne sais quel trou perdu, lorsqu’on a des intérêts si graves à Paris ?… Voulez-vous que je lui parle, moi ?