Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/212

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
212
LES ROUGON-MACQUART.

gnées de main s’échangeaient. Quand Delestang chercha sa femme pour monter à leur chambre, il ne la trouva plus. Enfin Rougon, qui l’aidait, finit par la découvrir, assise à côté de M. de Marsy, sur un étroit canapé, au fond de ce petit salon, où madame de Llorentz avait fait au comte une si terrible scène de jalousie, après le dîner. Clorinde riait très-haut. Elle se leva, en apercevant son mari. Elle dit, sans cesser de rire :

— Bonsoir, monsieur le comte… Vous verrez demain, pendant la chasse, si je tiens mon pari.

Rougon la suivit des yeux, tandis que Delestang l’emmenait à son bras. Il aurait voulu les accompagner jusqu’à leur porte, pour lui demander quel était ce pari dont elle parlait ; mais il dut rester là, retenu par M. de Marsy, qui le traitait avec un redoublement de politesse. Quand il fut libre, au lieu de monter se coucher, il profita d’une porte ouverte, il descendit dans le parc. La nuit était très-sombre, une nuit d’octobre, sans une étoile, sans un souffle, noire et morte. Au loin, les hautes futaies mettaient des promontoires de ténèbres. Il avait peine à distinguer devant lui la pâleur des allées. À cent pas de la terrasse, il s’arrêta. Son chapeau à la main, debout dans la nuit, il reçut un instant au visage toute la fraîcheur qui tombait. Ce fut un soulagement, comme un bain de force. Et il s’oublia à regarder sur la façade, à gauche, une fenêtre vivement éclairée ; les autres fenêtres s’éteignaient, elle troua bientôt seule de son flamboiement la masse endormie du château. L’empereur veillait. Brusquement, il crut voir son ombre, une tête énorme, traversée par des bouts de moustaches ; puis deux autres ombres passèrent, l’une très-grêle, l’autre forte, si large, qu’elle bouchait toute la clarté. Il reconnut nettement, dans cette dernière, la colossale silhouette d’un agent de la police secrète, avec lequel