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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Et il ne se rassit pas tout de suite. Il fit le tour du cabinet, déhanchant son grand corps. Son pas ébranlait sourdement le parquet, sous l’épais tapis. Il alla écarter les rideaux de velours vert, pour avoir plus de jour. Puis, au milieu de la vaste pièce, d’un luxe noir et fané de palais garni, il s’étira les bras, les mains nouées derrière la nuque, jouissant, comme pâmé par l’odeur administrative, l’odeur de puissance satisfaite, qu’il respirait là. Un rire lui venait malgré lui ; et il riait tout seul, les côtes chatouillées, d’un rire de plus en plus fort où sonnait son triomphe. Le colonel et ces messieurs, en entendant cette gaieté, se tournèrent, lui adressèrent un hochement de tête silencieux.

— Ah ! c’est bon tout de même ! dit-il simplement.

Comme il reprenait sa place devant l’énorme bureau de palissandre, Merle entra. L’huissier était correct, en habit noir et en cravate blanche. Il n’avait plus un poil de barbe, rasé de près, la face digne.

— Je demande pardon à Son Excellence, murmura-t-il, il y a là le préfet de la Somme…

— Qu’il aille au diable ! je travaille, répondit brutalement Rougon. Il est incroyable que je ne puisse avoir un moment à moi.

Merle ne se déconcerta pas. Il continua :

— Monsieur le préfet assure que Son Excellence l’attend… Il y a aussi les préfets de la Nièvre, du Cher et du Jura.

— Eh bien ! qu’ils attendent, ils sont faits pour ça ! reprit Rougon très-haut.

L’huissier sortit. M. d’Escorailles avait eu un sourire. Les trois autres, qui se chauffaient, s’allongèrent davantage, très-amusés également par la réponse du ministre. Celui-ci fut flatté de son succès.

— C’est vrai, je suis dans les préfets depuis un mois…