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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

Et il demeura là un grand quart d’heure, souple et caressant, cajolant Rougon, qu’il appelait tantôt « Votre Excellence » et tantôt « cher maître ». Il plaça quelques anecdotes sur les petits théâtres, recommanda une danseuse, demanda un mot pour le directeur de la manufacture des tabacs, afin d’avoir de bons cigares. Et il finit par dire un mal épouvantable de M. de Marsy, en plaisantant.

— Il est gentil tout de même, déclara Rougon, quand le jeune député ne fut plus là. Voyons, je vais me tremper la figure dans ma cuvette, moi. J’ai les joues qui éclatent.

Il disparut un instant derrière une portière. On entendit un grand barbottement d’eau. Il reniflait, il soufflait. Cependant, M. d’Escorailles, ayant fini de classer la correspondance, venait de tirer de sa poche une petite lime à manche d’écaille et se travaillait les ongles, délicatement. M. Béjuin et le colonel regardaient le plafond, si enfoncés dans leurs fauteuils, qu’ils semblaient ne plus jamais devoir les quitter. Un moment, M. Kahn fouilla le tas des journaux, à côté de lui, sur une table. Il les retournait, regardait les titres, les rejetait. Puis, il se leva.

— Vous partez ? demanda Rougon, qui reparut, s’épongeant la figure dans une serviette.

— Oui, répondit M. Kahn, j’ai lu les journaux, je m’en vais.

Mais il lui dit d’attendre. Et il le prit à son tour à l’écart, il lui annonça qu’il se rendrait sans doute dans les Deux-Sèvres, la semaine suivante, pour l’ouverture des travaux du chemin de fer de Niort à Angers. Plusieurs motifs le poussaient à faire un voyage là-bas. M. Kahn se montra enchanté. Il avait enfin obtenu la concession, dès les premiers jours de mars. Seulement,