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LES ROUGON-MACQUART.

— Comment cela ?

— Sans doute… Vous voilà au sommet que vous vouliez atteindre. Tout le monde vous a poussé, les événements eux-mêmes vous ont servi.

Il allait répondre, lorsqu’on frappa à la porte. Clorinde, d’un mouvement instinctif, cacha sa cigarette derrière sa jupe. C’était un employé qui voulait communiquer à Son Excellence une dépêche très-pressée. Rougon, d’un air maussade, lut la dépêche, indiqua à l’employé le sens dans lequel il fallait rédiger la réponse. Puis il referma la porte violemment, et venant se rasseoir :

— Oui, j’ai eu des amis très-dévoués. Je tâche de m’en souvenir… Et vous avez raison, j’ai à remercier jusqu’aux événements. Les hommes ne peuvent souvent rien quand les faits ne les aident pas.

En disant ces paroles d’une voix lente, il la regardait, ses lourdes paupières baissées, cachant à demi le regard dont il l’étudiait. Pourquoi parlait-elle de sa chance ? Que savait-elle au juste des événements favorables auxquels elle faisait allusion ? Peut-être Du Poizat avait-il causé ? Mais, à la voir souriante et songeuse, la face comme attendrie d’un ressouvenir sensuel, il sentait en elle une autre préoccupation ; sûrement elle ignorait tout. Lui-même oubliait, préférait ne pas fouiller trop au fond de sa mémoire. Il y avait une heure dans sa vie qui finissait par lui sembler très-confuse. Il en arrivait à croire qu’il devait réellement sa haute situation au dévouement de ses amis.

— Je ne voulais rien être, on m’a poussé malgré moi, continua-t-il. Enfin les choses ont tourné pour le mieux. Si je réussis à faire quelque bien, je serai satisfait.

Il acheva son café. Clorinde roulait une seconde cigarette.