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LES ROUGON-MACQUART.

Dès que Rougon fut seul, il retourna à son cabinet. La grande pièce était vide. Il s’assit devant le bureau, les coudes au bord du buvard, soufflant dans le silence. Ses paupières se baissaient, une somnolence rêveuse le tint assoupi pendant près de dix minutes. Mais il eut un sursaut, il s’étira les bras ; et il sonna. Merle parut.

— Monsieur le préfet de la Somme attend toujours, n’est-ce pas ?… Faites-le entrer.

Le préfet de la Somme entra, blême et souriant, en redressant sa petite taille. Il fit son compliment au ministre d’un air correct. Rougon, un peu alourdi, attendait. Il le pria de s’asseoir.

— Voici, monsieur le préfet, pourquoi je vous ai mandé. Certaines instructions doivent être données de vive voix… Vous n’ignorez pas que le parti révolutionnaire relève la tête. Nous avons été à deux doigts d’une catastrophe épouvantable. Enfin, le pays demande à être rassuré, à sentir au-dessus de lui l’énergique protection du gouvernement. De son côté, Sa Majesté l’empereur est décidée à faire des exemples, car jusqu’à présent on a singulièrement abusé de sa bonté…

Il parlait lentement, renversé au fond de son fauteuil, jouant avec un gros cachet à manche d’agate. Le préfet approuvait chaque membre de phrase d’un vif mouvement de tête.

— Votre département, continua le ministre, est un des plus mauvais. La gangrène républicaine…

— Je fais tous mes efforts… voulut dire le préfet.

— Ne m’interrompez pas… Il faut donc que la répression y soit éclatante. C’est pour m’entendre avec vous sur ce sujet que j’ai désiré vous voir… Nous nous sommes occupés ici d’un travail, nous avons dressé une liste…