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LES ROUGON-MACQUART.

kilomètres. Derrière l’adjoint, défilèrent encore six messieurs ; grands pieds, grosses mains, larges figures massives ; le préfet les présenta comme des membres distingués de la Société de statistique. Enfin, le proviseur du lycée amena sa femme, une délicieuse blonde de vingt-huit ans, une Parisienne dont les toilettes révolutionnaient Niort. Elle se plaignit de la province à Rougon, amèrement.

Cependant, M. Kahn, qui avait dîné avec le ministre et le préfet, était très-questionné sur la solennité du lendemain. On devait se rendre à une lieue de la ville, dans le quartier dit des Moulins, devant l’entrée d’un tunnel projeté pour le chemin de fer de Niort à Angers ; et là Son Excellence le ministre de l’intérieur mettrait lui-même le feu à la première mine. Cela parut touchant. Rougon faisait le bonhomme. Il voulait simplement honorer l’entreprise si laborieuse d’un vieil ami. D’ailleurs, il se considérait comme le fils adoptif du département des Deux-Sèvres, qui l’avait autrefois envoyé à l’Assemblée législative. À la vérité, le but de son voyage, vivement conseillé par Du Poizat, était de le montrer dans toute sa puissance à ses anciens électeurs, afin d’assurer complétement sa candidature, s’il lui fallait jamais un jour entrer au Corps législatif.

Par les fenêtres du petit salon, on voyait la ville noire et endormie. Personne ne venait plus. On avait appris trop tard l’arrivée du ministre. Cela tournait au triomphe, pour les gens zélés qui se trouvaient là. Ils ne parlaient pas de quitter la place, ils se gonflaient dans la joie d’être les premiers à posséder Son Excellence en petit comité. L’adjoint répétait plus haut, d’une voix dolente, sous laquelle perçait une grande jubilation :

— Mon Dieu ! que monsieur le maire va être contrarié !… et monsieur le président ! et monsieur le procureur impérial ! et tous ces messieurs !