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LES ROUGON-MACQUART.

était riche à plusieurs millions et habitait rue du Colisée un hôtel fort élégant.

— Oui, méfiez-vous des femmes, répétait Rougon, qui faisait une pause à chaque mot, pour jeter des coups d’œil dans les dossiers. Quand les femmes ne vous mettent pas une couronne sur la tête, elles vous passent une corde au cou… À notre âge, voyez-vous, il faut soigner son cœur autant que son estomac.

À ce moment, un grand bruit s’éleva dans l’antichambre. On entendait la voix de Merle qui défendait la porte. Et, brusquement, un petit homme entra, en disant :

— Il faut que je lui serre la main, que diable ! à ce cher ami.

— Tiens ! Du Poizat ! s’écria Rougon sans se lever.

Et, comme Merle faisait de grands gestes pour s’excuser, il lui ordonna de fermer la porte. Puis, tranquillement :

— Je vous croyais à Bressuire, vous… On lâche donc sa sous-préfecture comme une vieille maîtresse.

Du Poizat, mince, la mine chafouine, avec des dents très-blanches, mal rangées, haussa légèrement les épaules.

— Je suis à Paris de ce matin, pour des affaires, et je ne comptais aller que ce soir vous serrer la main, rue Marbeuf. Je vous aurais demandé à dîner… Mais quand j’ai lu le Moniteur

Il traîna un fauteuil devant le bureau, s’installa carrément en face de Rougon.

— Ah ça ! que se passe-t-il, voyons ! Moi, j’arrive du fond des Deux-Sèvres… J’ai bien eu vent de quelque chose, là-bas. Mais j’étais loin de me douter… Pourquoi ne m’avez-vous pas écrit ?

Rougon, à son tour, haussa les épaules. Il était clair