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LES ROUGON-MACQUART.

Il fit trois pas, se trouva au bord de la tente ; et là, avec un geste dont l’ampleur semblait s’adresser à toute la France attentive, il commença.

— Messieurs, permettez-moi de franchir ces coteaux par la pensée, d’embrasser l’empire tout entier d’un coup d’œil, et d’élargir ainsi la solennité qui nous rassemble, pour en faire la fête du labeur industriel et commercial. Au moment même où je vous parle, du nord au midi, on creuse des canaux, on construit des voies ferrées, on perce des montagnes, on élève des ponts…

Un profond silence s’était fait. Entre les phrases, on entendait des souffles dans les branches, puis la voix haute d’une écluse, au loin. Les pompiers, qui luttaient de belle tenue avec les soldats, sous le soleil ardent, jetaient des regards obliques, pour voir parler le ministre, sans tourner le cou. Sur le coteau, les spectateurs avaient fini par se mettre à leur aise ; les dames s’étaient accroupies, après avoir étalé leur mouchoir à terre ; deux messieurs que le soleil gagnait, venaient d’ouvrir les ombrelles de leurs femmes. Et la voix de Rougon montait peu à peu. Il paraissait gêné au fond de ce trou, comme si le vallon n’eût pas été assez vaste pour ses gestes. De ses mains brusquement jetées en avant, il semblait vouloir déblayer l’horizon, autour de lui. À deux reprises, il chercha l’espace ; mais il ne rencontra en haut, au bord du ciel, que les moulins dont les carcasses éventrées craquaient au soleil.

L’orateur avait repris le thème de M. Kahn, en l’agrandissant. Ce n’était plus le département des Deux-Sèvres seulement qui entrait dans une ère de prospérité miraculeuse, mais la France entière, grâce à l’embranchement de Niort à Angers. Pendant dix minutes, il énuméra les bienfaits sans nombre dont les populations seraient comblées. Il poussa les choses jusqu’à