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LES ROUGON-MACQUART.

— Eh bien, je vous regarde ! répondit-elle. Est-ce que ce n’est pas permis ?… Vous avez donc peur qu’on ne vous mange ?

Elle lança cette phrase d’un air provocant, en montrant ses dents blanches. Mais lui, plaisanta.

— Je suis trop gros, ça ne passerait pas.

— Oh ! si l’on avait bien faim ! dit-elle très-sérieusement, après avoir paru consulter son appétit.

Le landau arrivait enfin à la porte de la Muette. Ce fut, au sortir des ruelles étranglées de Chaillot, un élargissement brusque d’horizon dans les verdures tendres du Bois. La matinée était superbe, trempant au loin les pelouses d’une clarté blonde, donnant un frisson tiède à l’enfance des arbres. Ils laissèrent à droite le parc aux daims et prirent la route de Saint-Cloud. Maintenant, la voiture roulait sur l’avenue sablée, sans une secousse, avec une légèreté et une douceur de traîneau glissant sur la neige.

— Hein ? est-ce désagréable, ce pavé ! reprit Clorinde, en s’allongeant. On respire ici, on peut causer… Est-ce que vous avez des nouvelles de notre ami Du Poizat ?

— Oui, dit Rougon. Il se porte bien.

— Et est-il toujours content de son département ?

Il fit un geste vague, voulant se dispenser de répondre. La jeune femme devait connaître certains ennuis que le préfet des Deux-Sèvres commençait à lui donner par la rudesse de son administration. Elle n’insista pas, elle parla de M. Kahn et de madame Correur, en lui demandant des détails sur son voyage là-bas, d’un air de curiosité méchante. Puis, elle s’interrompit, pour s’écrier :

— À propos ! j’ai rencontré hier le colonel Jobelin et son cousin M. Bouchard. Nous avons parlé de vous… Oui, nous avons parlé de vous.