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LES ROUGON-MACQUART.

restait le bras tendu, elle lui donna un petit coup d’ombrelle sur les doigts, en murmurant :

— Puisqu’on vous dit qu’on est grande fille !

Et elle semblait sans respect pour les poings énormes du maître, qu’elle gardait longtemps autrefois dans ses mains d’élève soumise, afin de leur voler un peu de leur force. Aujourd’hui, elle pensait sans doute les avoir assez appauvris ; elle n’avait plus ses cajoleries adorables de disciple. À son tour, poussée en puissance, elle devenait maîtresse. Quand Delestang fut descendu de voiture, elle laissa Rougon entrer le premier, pour souffler à l’oreille de son mari :

— J’espère que vous n’allez pas l’empêcher de patauger, avec son bonhomme Jacques. Vous avez là une bonne occasion de ne pas toujours dire comme lui.

Dans le vestibule, avant de le quitter, elle l’enveloppa d’un dernier regard, s’inquiéta d’un bouton de sa redingote qui tirait sur l’étoffe ; et, tandis qu’un huissier l’annonçait chez l’impératrice, elle les regarda disparaître, Rougon et lui, souriante.

Le conseil des ministres se tenait dans un salon voisin du cabinet de l’empereur. Au milieu, une douzaine de fauteuils entouraient une grande table, recouverte d’un tapis. Les fenêtres, hautes et claires, donnaient sur la terrasse du château. Quand Rougon et Delestang entrèrent, tous leurs collègues se trouvaient déjà réunis, à l’exception du ministre des travaux publics et du ministre de la marine et des colonies, alors en congé. L’empereur n’avait pas encore paru. Ces messieurs causèrent pendant près de dix minutes, debout devant les fenêtres, groupés autour de la table. Il y en avait deux de visages chagrins, qui se détestaient au point de ne jamais s’adresser la parole ; mais les autres, la mine aimable, se mettaient à l’aise, en attendant les affaires graves. Paris