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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

s’occupait alors de l’arrivée d’une ambassade venue du fond de l’extrême Orient, avec des costumes étranges et des façons de saluer extraordinaires. Le ministre des affaires étrangères raconta une visite qu’il avait rendue, la veille, au chef de cette ambassade ; il se moquait finement, tout en restant très-correct. Puis, la conversation tomba à des sujets plus frivoles ; le ministre d’État fournit des renseignements sur la santé d’une danseuse de l’Opéra, qui avait failli se casser la jambe. Et même dans leur abandon, ces messieurs demeuraient en éveil et en défiance, cherchant certaines de leurs phrases, rattrapant des moitiés de mot, se guettant sous leurs sourires, redevenant subitement sérieux, dès qu’ils se sentaient surveillés.

— Alors, c’est une simple foulure ? dit Delestang, qui s’intéressait beaucoup aux danseuses.

— Oui, une foulure, répéta le ministre d’État. La pauvre femme en sera quitte pour garder quinze jours la chambre… Elle est bien honteuse d’être tombée.

Un petit bruit fit tourner les têtes. Tous s’inclinèrent ; l’empereur venait d’entrer. Il resta un instant appuyé au dossier de son fauteuil. Et il demanda de sa voix sourde, lentement :

— Elle va mieux ?

— Beaucoup mieux, sire, répondit le ministre en s’inclinant de nouveau. J’ai eu de ses nouvelles ce matin.

Sur un geste de l’empereur, les membres du conseil prirent place autour de la table. Ils étaient neuf ; plusieurs étalèrent des papiers devant eux ; d’autres se renversèrent, en se regardant les ongles. Un silence régna. L’empereur semblait souffrant ; il roulait doucement les bouts de ses moustaches entre ses doigts la face éteinte. Puis, comme personne ne parlait, il parut se souvenir, il prononça quelques mots.