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LES ROUGON-MACQUART.

sentiment d’égalité qui domine aujourd’hui, la rage de vanité qu’un pareil système développerait…

Mais il eut la parole coupée par le garde des sceaux, très-aigre, très-blessé, se défendant en homme attaqué personnellement. Il se disait bourgeois, fils de bourgeois, incapable de porter atteinte aux principes égalitaires de la société moderne. La nouvelle noblesse devait être une noblesse démocratique ; et ce mot de « noblesse démocratique » rendait sans doute si bien son idée, qu’il le répéta à plusieurs reprises. Rougon répliqua, toujours souriant, sans se fâcher. Le garde des sceaux, petit, sec, noirâtre, finit par lancer des personnalités blessantes. L’empereur demeurait comme étranger à la querelle ; il regardait de nouveau, avec de lents balancements d’épaules, la grande clarté blanche tombant de la fenêtre, en face de lui. Pourtant, quand les voix montèrent et devinrent gênantes pour sa dignité, il murmura :

— Messieurs, messieurs…

Puis, au bout d’un silence :

— Monsieur Rougon a peut-être raison… La question n’est pas mûre encore. Il faudra l’étudier sur d’autres bases. On verra plus tard.

Le conseil examina ensuite plusieurs menues affaires. On parla surtout du journal le Siècle, dont un article venait de produire un scandale à la cour. Il ne se passait pas de semaine sans que l’empereur fût supplié, dans son entourage, de supprimer ce journal, le seul organe républicain qui restât debout. Mais Sa Majesté, personnellement, avait une grande douceur pour la presse ; elle s’amusait souvent, dans le secret du cabinet, à écrire de longs articles en réponse aux attaques contre son gouvernement ; son rêve inavoué était d’avoir son journal à elle, où elle pourrait publier des manifestes et entamer des polémiques. Toutefois, Sa Majesté décida, ce