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LES ROUGON-MACQUART.

laisser mûrir la passion du souverain, guetter une circonstance, ménager l’heure où il ne pourrait plus rien lui refuser, afin d’assurer le triomphe de quelque plan longuement conçu.

Ce fut vers cette époque qu’elle se montra tout d’un coup très-tendre à l’égard de M. de Plouguern. Il y avait, depuis plusieurs mois, de la brouille entre eux. Le sénateur, fort assidu auprès d’elle, et qui venait assister presque chaque matin à son lever, s’était un beau jour fâché de se voir consigné à la porte de son cabinet, lorsqu’elle faisait sa toilette. Elle rougissait, prise d’un caprice de pudeur, ne voulant plus être taquinée, gênée, disait-elle, par les yeux gris du vieillard où s’allumaient des flammes jaunes. Mais lui, protestait, refusait de se présenter, comme tout le monde, aux heures où sa chambre s’emplissait de visites. N’était-il pas son père ? ne l’avait-il pas fait sauter sur ses genoux toute petite ? Et il racontait avec un ricanement les corrections qu’il se permettait de lui administrer jadis, les jupes relevées. Elle finit par rompre, un jour où, malgré les cris et les coups de poing d’Antonia, il était entré pendant qu’elle se trouvait au bain. Quand M. Kahn ou le colonel Jobelin lui demandait des nouvelles de M. de Plouguern, elle répondait d’un air pincé :

— Il rajeunit, il n’a pas vingt ans… Je ne le vois plus.

Puis, brusquement, on ne rencontra que M. de Plouguern chez elle. À toute heure, il était là, dans les coins du cabinet de toilette, au fond des trous intimes de la chambre. Il savait où elle serrait son linge, lui passait une chemise ou une paire de bas ; même on l’avait surpris en train de lui lacer son corset. Clorinde montrait le despotisme d’une jeune mariée.

— Parrain, va me chercher la lime à ongles, tu sais,