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LES ROUGON-MACQUART.

blanches une gaieté perlée de jolie femme. Un de ses collègues, énorme, se rapprocha de trois places, pour lui demander à l’oreille :

— Est-ce que Lamberthon a vraiment trouvé sa femme… ? Contez-moi donc ça, La Rouquette.

Le président avait pris une poignée de papiers. Il parlait d’une voix monotone ; des lambeaux de phrase arrivaient jusqu’au fond de la salle.

— Il y a des demandes de congé… monsieur Blachet, monsieur Buquin-Lecomte, monsieur de la Villardière…

Et, pendant que la Chambre consultée accordait les congés, M. Kahn, las sans doute de considérer la soie verte tendue devant l’image séditieuse de Louis-Philippe, s’était tourné à demi pour regarder les tribunes. Au-dessus du soubassement de marbre jaune veiné de laque, un seul rang de tribunes mettait, d’une colonne à l’autre, des bouts de rampe de velours amarante ; tandis que, tout en haut, un lambrequin de cuir gaufré n’arrivait pas à dissimuler le vide laissé par la suppression du second rang, réservé aux journalistes et au public, avant l’empire. Entre les grosses colonnes jaunies, développant leur pompe un peu lourde autour de l’hémicycle, les étroites loges s’enfonçaient, pleines d’ombre, presque vides, égayées par trois ou quatre toilettes claires de femme.

— Tiens ! le colonel Jobelin est venu, murmura M. Kahn.

Il sourit au colonel, qui l’avait aperçu. Le colonel Jobelin portait la redingote bleu foncé qu’il avait adoptée comme uniforme civil, depuis sa retraite. Il était tout seul dans la tribune des questeurs, avec sa rosette d’officier, si grande, qu’elle semblait le nœud d’un foulard.

Plus loin, à gauche, les yeux de M. Kahn venaient de se fixer sur un jeune homme et une jeune femme, serrés