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LES ROUGON-MACQUART.

avec des amis, avec des membres en moins. Enfin, tous s’éloignèrent. Ce fut l’agonie de son pouvoir. Lui, si fort, était lié à ces imbéciles par le long travail de leur fortune commune. Ils emportaient chacun un peu de lui, en se retirant. Ses forces, dans cette diminution de son importance, demeuraient comme inutiles ; ses gros poings tapaient le vide. Le jour où son ombre fut seule au soleil, où il ne put s’engraisser davantage des abus de son crédit, il lui sembla que sa place avait diminué par terre ; et il rêva une nouvelle incarnation, une résurrection en Jupiter Tonnant, sans bande à ses pieds, faisant la loi par le seul éclat de sa parole.

Cependant, Rougon ne se croyait pas encore sérieusement ébranlé. Il traitait dédaigneusement les morsures qui lui entamaient à peine les talons. Il gouvernerait puissamment, impopulaire et solitaire. Puis, il mettait sa grande force dans l’empereur. Sa crédulité fut alors son unique faiblesse. Chaque fois qu’il voyait Sa Majesté, il la trouvait bienveillante, très-douce, avec son pâle sourire impénétrable ; et elle lui renouvelait l’expression de sa confiance, elle lui répétait les instructions si souvent données. Cela lui suffisait. Le souverain ne pouvait songer à le sacrifier. Cette certitude le décida à tenter un grand coup. Pour faire taire ses ennemis et asseoir son pouvoir solidement, il imagina d’offrir sa démission, en termes très-dignes : il parlait des plaintes répandues contre lui, il disait avoir strictement obéi aux désirs de l’empereur, et sentir le besoin d’une haute approbation, avant de continuer son œuvre de salut public. D’ailleurs, il se posait carrément en homme à forte poigne, en représentant de la répression sans merci. La cour était à Fontainebleau. La démission partie, Rougon attendit avec un sang-froid de beau joueur. L’éponge allait être passée sur les derniers scandales, le drame de Coulonges,