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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

rait. Et, quand cette fille de brasserie, sortie le matin même des bras d’un empereur, recevait leur monnaie, la main tendue, ils semblaient flairer, chercher sur elle quelque chose de ces amours souveraines. Elle, sans un trouble, tournait lentement le cou, pour montrer son collier de chien, dont la grosse chaîne d’or avait un petit bruit. Cela devait être un ragoût de plus, se faire la servante de tous, lorsqu’on vient d’être reine pendant une nuit, traîner autour des tables d’un café pour rire, parmi les ronds de citron et les miettes de gâteau, des pieds de statue baisés passionnément par d’augustes moustaches.

— C’est très-amusant, dit-elle en revenant se planter devant M. Kahn. Ils me prennent pour une fille, ma parole ! Il y en a un qui m’a pincée, je crois. Je n’ai rien dit. À quoi bon ?… C’est pour les pauvres, n’est-ce pas ?

M. Kahn, d’un clignement d’yeux, la pria de se pencher ; et, très-bas, il demanda :

— Alors, Rougon ?…

— Chut ! tout à l’heure, répondit-elle en baissant la voix également. Je lui ai envoyé une carte d’invitation à mon nom. Je l’attends.

Et M. Kahn ayant hoché la tête, elle ajouta vivement :

— Si, si, je le connais, il viendra… D’ailleurs, il ne sait rien.

M. Kahn et M. Béjuin se mirent dès lors à guetter l’arrivée de Rougon. Ils voyaient toute la grande salle, par la large ouverture des rideaux. La foule y augmentait de minute en minute. Des messieurs, renversés autour du pouf circulaire, les jambes croisées, fermaient les yeux d’un air somnolent ; tandis que, s’accrochant à leurs pieds tendus, un continuel défilé de visiteurs tournait devant eux. La chaleur devenait excessive. Le brou-