Page:Emile Zola - Son Excellence Eugène Rougon.djvu/421

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
421
SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

en riant. Ils avançaient, radieux, pâmés, au milieu de l’assaut de toutes ces jupes, dans la caresse tiède de ces jolies voix. Par moments, ils disparaissaient, noyés sous les gorges nues, contre lesquelles ils feignaient de se défendre, avec de petits cris d’effroi. Et, à chaque comptoir, ils se laissaient faire une aimable violence. Puis, ils jouaient l’avarice, en affectant des effarouchements comiques. Une poupée d’un sou, un louis, ça n’était pas dans leurs moyens ! Trois crayons, deux louis, on voulait donc leur retirer le pain de la bouche ! C’était à mourir de rire. Ces dames avaient une gaieté roucoulante, pareille à un chant de flûte. Elles devenaient plus âpres, grisées par cette pluie d’or, triplant, quadruplant les prix, mordues de la passion du vol. Elles se les passaient de main en main, avec des clignements d’yeux ; et des mots couraient : « Je vais les pincer, ceux-là… Vous allez voir, on peut les saler… », phrases qu’ils entendaient et auxquelles ils répondaient par des saluts plaisants. Derrière leurs dos, elles triomphaient, elles se vantaient ; la plus forte, la plus jalousée fut une demoiselle de dix-huit ans, qui avait vendu un bâton de cire à cacheter trois louis. Cependant, arrivé au bout de la salle, comme une vendeuse voulait absolument lui fourrer dans la poche une boîte de savons, M. d’Escorailles s’écria :

— Je n’ai plus le sou. Si vous voulez que je vous fasse des billets ?

Il secouait son porte-monnaie. La dame, lancée, s’oubliant, prit le porte-monnaie, le fouilla. Et elle regardait le jeune homme, elle semblait sur le point de lui demander sa chaîne de montre.

C’était une farce. M. d’Escorailles emportait toujours dans les ventes un porte-monnaie vide, pour rire.

— Ah ! zut ! dit-il en entraînant M. La Rouquette, je