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LES ROUGON-MACQUART.

avec ses panneaux de glace, ses tables, son comptoir de marbre rouge, ses banquettes de reps vert capitonné. Une des baies ouverte laissait entrer le bel après-midi, une tiédeur printanière que rafraîchissaient les souffles vifs de la Seine.

— La guerre d’Italie a mis le comble à sa gloire, reprit M. La Rouquette, continuant une conversation interrompue. Aujourd’hui, en rendant au pays la liberté, il montre toute la force de son génie…

Il parlait de l’empereur. Pendant un instant, il exalta la portée des décrets de novembre, la participation plus directe des grands corps de l’État à la politique du souverain, la création des ministres sans portefeuille chargés de représenter le gouvernement auprès des Chambres. C’était le retour du régime constitutionnel, dans ce qu’il avait de sain et de raisonnable. Une nouvelle ère, l’empire libéral, s’ouvrait. Et il secouait la cendre de son cigare, transporté d’admiration.

M. de Lamberthon hochait la tête.

— Il est allé un peu vite, murmura-t-il. On aurait pu attendre encore. Rien ne pressait.

— Si, si, je vous assure, il fallait faire quelque chose, dit vivement le jeune député. C’est justement là le génie…

Il baissa la voix, il expliqua la situation politique avec des coups d’œil profonds. Les mandements des évêques, au sujet du pouvoir temporel, menacé par le gouvernement de Turin, inquiétaient beaucoup l’empereur. D’autre part, l’opposition se réveillait, le pays traversait une heure de malaise. Le moment était venu de tenter la réconciliation des partis, d’attirer à soi les hommes politiques boudeurs en leur faisant de sages concessions. Maintenant, il trouvait l’empire autoritaire très-défectueux, il transformait l’empire libéral en une apothéose dont l’Europe entière allait être éclairée.