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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

— N’importe, il a agi trop vite, répétait M. de Lamberthon, qui hochait toujours la tête. J’entends bien, l’empire libéral ; mais c’est l’inconnu, cher monsieur, l’inconnu, l’inconnu…

Et il dit ce mot sur trois tons différents, en promenant sa main devant lui, dans le vide. M. La Rouquette n’ajouta rien ; il finissait son grog. Les deux députés restèrent là, les yeux perdus, regardant le ciel par la baie ouverte, comme s’ils avaient cherché l’inconnu au delà du quai, du côté des Tuileries, où flottaient de grandes vapeurs grises. Derrière eux, au fond des couloirs, l’ouragan des voix grondait de nouveau, avec le vacarme sourd d’un orage qui s’approche.

M. de Lamberthon tournait la tête, pris d’inquiétude. Au bout d’un silence, il demanda :

— C’est Rougon qui doit répondre, n’est-ce pas ?

— Oui, je crois, répondit M. La Rouquette, les lèvres pincées, d’un air discret.

— Il était bien compromis, murmura encore le vieux député. L’empereur a fait un singulier choix, en le nommant ministre sans portefeuille et en le chargeant de défendre sa nouvelle politique. »

M. La Rouquette ne donna pas tout de suite son avis. Il caressait sa moustache blonde d’une main lente. Il finit par dire :

— L’empereur connaît Rougon.

Puis, il s’écria, d’une voix changée :

— Dites donc, ils n’étaient pas fameux, ces grogs… J’ai une soif d’enragé. J’ai envie de prendre un verre de sirop.

Il commanda un verre de sirop. M. de Lamberthon hésita, se décida enfin pour un madère. Et ils causèrent de madame de Lamberthon ; le mari reprochait à son jeune collègue la rareté de ses visites. Celui-ci s’était