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LES ROUGON-MACQUART.

quillement, puis se remit à son carillon. Son mince sourire sceptique, une sorte de tic qui lui était habituel, pinçait les coins de ses lèvres fines. Lorsque les voix se lassaient, il se contentait de lancer :

— Messieurs, permettez, permettez…

Enfin, il obtint un silence relatif.

— J’invite l’orateur, dit-il, à expliquer le mot qu’il vient de prononcer.

L’orateur se penchant, s’appuyant sur le bord de la tribune, répéta sa phrase avec une affirmation entêtée du menton.

— J’ai dit que le 2 décembre était un crime…

Il ne put aller plus loin. L’orage recommença. Un député, le sang aux joues, le traita d’assassin ; un autre lui jeta une ordure, si grosse, que les sténographes sourirent, en se gardant d’écrire le mot. Les exclamations se croisaient, s’étouffaient. Pourtant, on entendait la voix flûtée de M. La Rouquette qui répétait :

— Il insulte l’empereur, il insulte la France !

M. de Marsy eut un geste digne. Il se rassit, en disant :

— Je rappelle l’orateur à l’ordre.

Une longue agitation suivit. Ce n’était plus le Corps législatif ensommeillé qui avait voté, cinq ans plus tôt, un crédit de quatre cent mille francs pour le baptême du prince impérial. À gauche, sur un banc, quatre députés applaudissaient le mot lancé à la tribune par leur collègue. Ils étaient cinq maintenant à attaquer l’empire. Ils l’ébranlaient d’une secousse continue, le niaient, lui refusaient leur vote, avec un entêtement de protestation, dont l’effet devait peu à peu soulever le pays entier. Ces députés se tenaient debout, groupe infime, perdu au milieu d’une majorité écrasante ; et ils répondaient aux menaces, aux poings tendus, à la pression bruyante de la