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SON EXCELLENCE EUGÈNE ROUGON.

où ils se rencontraient. Une histoire voulait que Clorinde fût sa fille ; mais ni lui ni la comtesse n’en savaient réellement rien ; et, depuis que l’enfant devenait femme, grasse et désirable, il affirmait avoir beaucoup fréquenté son père, autrefois. Il la couvait de ses yeux restés vifs, et prenait avec elle des familiarités fort libres de vieil ami. M. de Plouguern, grand, sec, osseux, avait une ressemblance avec Voltaire, pour lequel il pratiquait une dévotion secrète.

— Parrain, tu ne regardes pas mon portrait ? cria Clorinde.

Elle l’appelait parrain, par amitié. Il s’était avancé derrière Luigi, clignant les yeux en connaisseur.

— Délicieux ! murmura-t-il.

Rougon s’approcha, Clorinde elle-même sauta de la table, pour voir. Et tous trois se pâmèrent. La peinture était très-propre. Le peintre avait déjà couvert la toile entière d’un léger frottis rose, blanc, jaune, qui gardait des pâleurs d’aquarelle. Et la figure souriait d’un air joli de poupée, avec ses lèvres arquées, ses sourcils recourbés, ses joues frottées de vermillon tendre. C’était une Diane à mettre sur une boîte de pastilles.

— Oh ! voyez donc là, près de l’œil, cette petite lentille, dit Clorinde en tapant les mains d’admiration. Ce Luigi, il n’oublie rien !

Rougon, que les tableaux ennuyaient d’ordinaire, était charmé. Il comprenait l’art, en ce moment. Il porta ce jugement, d’un ton très-convaincu :

— C’est admirablement dessiné.

— Et la couleur est excellente, reprit M. de Plouguern. Ces épaules sont de la chair… Très-agréables, les seins. Celui de gauche surtout est d’une fraîcheur de rose… Hein ! quels bras ! Cette mignonne vous a des bras éton-