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LES ROUGON-MACQUART.

nants ! J’aime beaucoup le renflement au-dessus de la saignée ; c’est d’un modelé parfait.

Et se tournant vers le peintre :

— Monsieur Pozzo, ajouta-t-il, tous mes compliments. J’avais déjà vu une Baigneuse de vous. Mais ce portrait sera supérieur… Pourquoi n’exposez-vous pas ? J’ai connu un diplomate qui jouait merveilleusement du violon ; cela ne l’a pas empêché de faire son chemin.

Luigi, très-flatté, s’inclinait. Cependant, le jour baissait, et comme il voulait finir une oreille, disait-il, il pria Clorinde de reprendre la pose pour dix minutes au plus. M. de Plouguern et Rougon continuèrent à causer peinture. Celui-ci avouait que des études spéciales l’avaient empêché de suivre le mouvement artistique des dernières années ; mais il protestait de son admiration pour les belles œuvres. Il en vint à déclarer que la couleur le laissait assez froid ; un beau dessin le satisfaisait pleinement, un dessin qui fût capable d’élever l’âme et d’inspirer de grandes pensées. Quant à M. de Plouguern, il n’aimait que les anciens ; il avait visité tous les musées de l’Europe, il ne comprenait pas qu’on eût assez de hardiesse pour oser peindre encore. Pourtant, le mois précédent, il avait fait décorer un petit salon par un artiste que personne ne connaissait et qui avait vraiment bien du talent.

— Il m’a peint des petits Amours, des fleurs, des feuillages tout à fait extraordinaires, dit-il. Positivement, on cueillerait les fleurs. Et il y a là-dedans des insectes, papillons, mouches, hannetons, qu’on croirait vivants. Enfin, c’est très-gai… Moi, j’aime la peinture gaie.

— L’art n’est pas fait pour ennuyer, conclut Rougon.

À ce moment, comme ils marchaient côte à côte, à petits pas, M. de Plouguern écrasa, sous le talon de sa