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UNE PAGE D’AMOUR.

dames patronnesses. Aussi, un jeudi soir, Hélène et sa fille se trouvèrent-elles seules à l’église. Après le sermon, comme les chantres attaquaient le Magnificat, la jeune femme, avertie par un élancement de son cœur, tourna la tête : Henri était là, à la place accoutumée. Alors, elle demeura le front baissé jusqu’à la fin de la cérémonie, dans l’attente du retour.

— Ah ! c’est gentil d’être venu ! dit Jeanne à la sortie, avec sa familiarité d’enfant. J’aurais eu peur, dans ces rues noires.

Mais Henri affectait la surprise. Il croyait rencontrer sa femme. Hélène laissa la petite répondre, elle les suivait, sans parler. Comme ils passaient tous trois sous le porche, une voix se lamenta :

— La charité… Dieu vous le rende…

Chaque soir, Jeanne glissait une pièce de dix sous dans la main de la mère Fétu. Lorsque celle-ci aperçut le docteur seul avec Hélène, elle secoua simplement la tête, d’un air d’intelligence, au lieu d’éclater en remercîments bruyants, comme d’habitude. Et, l’église s’étant vidée, elle se mit à les suivre, de ses pieds traînards, en marmottant de sourdes paroles. Au lieu de rentrer par la rue de Passy, ces dames quelquefois revenaient par la rue Raynouard, lorsque la nuit était belle, allongeant ainsi le chemin de cinq ou six minutes. Ce soir-là, Hélène prit la rue Raynouard, désireuse d’ombre et de silence, cédant au charme de cette longue chaussée déserte, qu’un bec de gaz de loin en loin éclairait, sans que l’ombre d’un passant remuât sur le pavé.

À cette heure, dans ce quartier écarté, Passy dormait déjà, avec le petit souffle d’une ville de province. Aux deux bords des trottoirs, des hôtels s’alignaient,