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UNE PAGE D’AMOUR.

— Vous m’avez laissée, vous m’avez laissée ! criait-elle. Oh ! j’ai peur, je ne veux pas être toute seule…

Sa mère la baisa pour la consoler, mais elle cherchait toujours.

— Où est-il ? Oh ! dis-lui de ne pas s’en aller… Je veux qu’il soit là, je veux…

— Il va revenir, mon ange, répétait Hélène, qui mêlait ses larmes aux siennes. Il ne nous quittera pas, je te le jure. Il nous aime trop… Voyons, sois sage, recouche-toi. Moi, je reste là, j’attends qu’il revienne.

— Bien vrai, bien vrai ? murmura l’enfant, qui retomba peu à peu dans une somnolence profonde.

Alors, commencèrent des jours affreux, trois semaines d’abominables angoisses. La fièvre ne cessa pas une heure. Jeanne ne trouvait un peu de calme que lorsque le docteur était là et qu’elle lui avait donné l’une de ses petites mains, tandis que sa mère tenait l’autre. Elle se réfugiait en eux, elle partageait entre eux son adoration tyrannique, comme si elle eût compris sous quelle protection d’ardente tendresse elle se mettait. Son exquise sensibilité nerveuse, affinée encore par la maladie, l’avertissait sans doute que seul un miracle de leur amour pouvait la sauver. Pendant des heures, elle les regardait aux deux côtés de son lit, les yeux graves et profonds. Toute la passion humaine, entrevue et devinée, passait dans ce regard de petite fille moribonde. Elle ne parlait point, elle leur disait tout d’une pression chaude, les suppliant de ne pas s’éloigner, leur faisant entendre quel repos elle goûtait à les voir ainsi. Lorsque, après une absence, le médecin reparaissait, c’était pour elle un ravissement, ses yeux qui n’avaient pas quitté la porte s’emplissaient de clarté ; puis, tranquille, elle s’endormait, rassurée de les entendre,