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UNE PAGE D’AMOUR.

— Eh bien ! mettez-les, mais que le ciel vous inspire !

Elle n’avait pas lâché Jeanne, elle refusa de se relever, voulant garder sa tête sur son épaule. Lui, le visage froid, ne parla plus, absorbé dans l’effort qu’il tentait. D’abord, les sangsues ne prirent pas. Les minutes s’écoulaient, le balancier de la pendule, dans la grande chambre noyée d’ombre, mettait seul son bruit impitoyable et entêté. Chaque seconde emportait un espoir. Sous le cercle de clarté jaune qui tombait de l’abat-jour, la nudité adorable et souffrante de Jeanne, au milieu des draps rejetés, avait une pâleur de cire. Hélène, les yeux secs, étranglée, regardait ces petits membres déjà morts ; et, pour voir une goutte du sang de sa fille, elle eût volontiers donné tout le sien. Enfin, une goutte parut, les sangsues prenaient. Une à une, elles se fixèrent. L’existence de l’enfant se décidait. Ce furent des minutes terribles, d’une émotion poignante. Était-ce le dernier souffle, ce soupir que poussait Jeanne ? était-ce le retour de la vie ? Un instant, Hélène, la sentant se raidir, crut qu’elle passait, et elle eut la furieuse envie d’arracher ces bêtes qui buvaient si goulûment ; mais une force supérieure la retenait, elle restait béante et glacée. Le balancier continuait à battre, la chambre anxieuse semblait attendre.

L’enfant s’agita. Ses paupières lentes se soulevèrent, puis elle les referma, comme étonnée et lasse. Une vibration légère, pareille à un souffle, passait sur son visage. Elle remua les lèvres. Hélène, avide, tendue, se penchait, dans une attente farouche.

— Maman, maman, murmurait Jeanne.

Henri alors vint au chevet, près de la jeune femme, en disant :