Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/190

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
190
LES ROUGON-MACQUART.

— Oh ! oui, je ne me sens plus… Mais je vous entends, ça me fait plaisir.

Puis, au bout d’un instant, elle faisait un effort, levant les paupières, les regardant. Et elle souriait divinement, en refermant les yeux.

Le lendemain, quand l’abbé et M. Rambaud se présentèrent, Hélène laissa échapper un mouvement d’impatience. Ils la dérangeaient dans son coin de bonheur. Et, comme ils la questionnaient, tremblant d’apprendre de mauvaises nouvelles, elle eut la cruauté de leur dire que Jeanne n’allait pas mieux. Elle répondit cela sans réflexion, poussée par le besoin égoïste de garder pour elle et pour Henri la joie de l’avoir sauvée et d’être seuls à le savoir. Pourquoi voulait-on partager leur bonheur ? Il leur appartenait, il lui eût semblé diminué si quelqu’un l’avait connu. Elle aurait cru qu’un étranger entrait dans son amour.

Le prêtre s’était approché du lit.

— Jeanne, c’est nous, tes bons amis… Tu ne nous reconnais pas !

Elle fit un grave signe de tête. Elle les reconnaissait, mais elle ne voulait pas causer, pensive, levant des regards d’intelligence vers sa mère. Et les deux bonnes gens s’en allèrent, plus navrés que les autres soirs.

Trois jours après, Henri permit à la malade son premier œuf à la coque. Ce fut toute une grosse affaire. Jeanne voulut absolument le manger, seule avec sa mère et le docteur, la porte fermée. Comme M. Rambaud justement se trouvait là, elle murmura à l’oreille de sa mère, qui étalait déjà une serviette sur le lit, en guise de nappe :

— Attends, quand il sera parti.

Puis, dès qu’il se fut éloigné :