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UNE PAGE D’AMOUR.

Alors, un sentiment de révolte anima peu à peu Hélène. Certes, elle serait morte pour sa fille. Mais pourquoi la méchante enfant la torturait-elle à ce point, maintenant qu’elle était hors de danger ? Lorsqu’elle s’abandonnait à une de ces rêveries qui la berçaient, quelque rêve vague où elle se voyait marcher avec Henri dans un pays inconnu et charmant, tout d’un coup l’image raidie de Jeanne se levait ; et c’étaient de continuels déchirements dans ses entrailles et dans son cœur. Elle souffrait trop de cette lutte entre sa maternité et son amour.

Une nuit, le docteur vint, malgré la défense formelle d’Hélène. Depuis huit jours, ils n’avaient pu échanger une parole. Elle refusait de le recevoir ; mais lui, doucement, la poussa dans la chambre, comme pour la rassurer. Là, tous deux croyaient être sûrs d’eux-mêmes. Jeanne dormait profondément. Ils s’assirent à leur place accoutumée, près de la fenêtre, loin de la lampe ; et une ombre calme les enveloppait. Pendant deux heures, ils causèrent, rapprochant leurs visages pour parler plus bas, si bas, qu’ils mettaient à peine un souffle dans la grande chambre ensommeillée. Parfois, ils tournaient la tête, jetant un coup d’œil sur le fin profil de Jeanne, dont les petites mains jointes reposaient au milieu du drap. Mais ils finirent par l’oublier. Leur balbutiement montait. Hélène, tout d’un coup, s’éveilla, dégagea ses mains qui brûlaient sous les baisers d’Henri. Et elle eut l’horreur froide de l’abomination qu’ils avaient failli commettre là.

— Maman ! maman ! bégayait Jeanne, brusquement agitée, comme tourmentée de quelque cauchemar.

Elle se débattait dans son lit, les yeux lourds