Page:Emile Zola - Une page d'amour.djvu/208

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
208
LES ROUGON-MACQUART.

déférence qu’il n’avait jamais eue pour un confrère. Il le consultait sur Jeanne, de l’air d’un élève qui doute de lui. La vérité était qu’il finissait par trembler devant cette enfant ; elle échappait à sa science, il craignait de la tuer et de perdre la mère. Une semaine se passa. Hélène ne le recevait plus dans la chambre de la malade. Alors, de lui-même, frappé au cœur, malade, il cessa ses visites.

Vers la fin du mois d’août, Jeanne put enfin se lever et marcher dans l’appartement. Elle riait soulagée ; en quinze jours, elle n’avait pas eu une crise. Sa mère, toute à elle, toujours auprès d’elle, avait suffi pour la guérir. Dans les premiers temps, l’enfant restait méfiante, goûtait ses baisers, s’inquiétait de ses mouvements, exigeait sa main avant de s’endormir, et voulait la garder pendant son sommeil. Puis, voyant que personne ne montait plus, qu’elle ne la partageait plus, elle avait repris confiance, heureuse de recommencer leur bonne vie d’autrefois, toutes deux seules à travailler devant la fenêtre. Chaque jour, elle redevenait rose. Rosalie disait qu’elle fleurissait à vue d’œil.

Certains soirs, cependant, à la tombée de la nuit, Hélène s’abandonnait. Depuis la maladie de sa fille, elle restait grave, un peu pâle, avec une grande ride au front, qu’elle n’avait point auparavant. Et lorsque Jeanne s’apercevait d’un de ces moments de lassitude, d’une de ces heures désespérées et vides, elle-même se sentait très-malheureuse, le cœur gros d’un vague remords. Doucement, sans parler, elle se pendait à son cou. Puis, à voix basse :

— Tu es heureuse, petite mère ?

Hélène avait un tressaillement. Elle se hâtait de répondre :