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LES ROUGON-MACQUART.

Elle les quitta un instant, remonta le perron, pour crier à travers pièces toutes ouvertes :

— Pierre, n’oubliez rien, il y a dix-sept colis !

Mais elle revint tout de suite et parla de son voyage.

— Oh ! une saison adorable. Nous étions à Trouville, vous savez. Un monde sur la plage, à s’écraser ! Et tout ce qu’il y a de mieux… J’ai eu des visites, oh ! des visites… Papa est venu passer quinze jours avec Pauline. N’importe, on est content de rentrer chez soi… Ah ! je ne vous ai pas dit… Mais non, je vous conterai ça plus tard.

Elle se baissa, embrassa Jeanne de nouveau, puis devint sérieuse et posa cette question :

— Est-ce que j’ai bruni ?

— Non, je ne m’aperçois pas, répondit Hélène, qui la regardait.

Juliette avait ses yeux clairs et vides, ses mains potelées, son joli visage aimable. Elle ne vieillissait pas ; l’air de la mer lui-même n’avait pu entamer la sérénité de son indifférence. Elle semblait revenir d’une course dans Paris, d’une tournée chez ses fournisseurs, avec le reflet des étalages sur toute sa personne. Pourtant, elle débordait d’affection, et Hélène demeurait d’autant plus gênée, qu’elle se sentait raide et mauvaise. Au milieu de la couverture, Jeanne ne bougeait pas ; elle levait seulement sa fine tête souffrante, les mains serrées frileusement au soleil.

— Attendez, vous n’avez pas vu Lucien, s’écria Juliette. Il faut le voir… Il est énorme.

Et lorsqu’on lui eut amené le petit garçon, que la femme de chambre débarbouillait de la poussière du voyage, elle le poussa, elle le retourna, pour le montrer. Lucien, gros, joufflu, tout hâlé d’avoir joué sur