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UNE PAGE D’AMOUR.

d’arrêt dans la vie de la cité. Depuis trois mois qu’elle ne sortait pas, clouée près du lit de Jeanne, elle n’avait pas d’autre compagnon de veillée au chevet de la malade que le grand Paris étalé à l’horizon. Par ces chaleurs de juillet et d’août, les croisées restaient presque continuellement ouvertes, elle ne pouvait traverser la pièce, bouger, tourner la tête, sans le voir avec elle développant son éternel tableau. Il était là, par tous les temps, se mettant de moitié dans ses douleurs et dans ses espérances, comme un ami qui s’imposait. Elle l’ignorait toujours, elle n’avait jamais été si loin de lui, plus insoucieuse de ses rues et de son peuple ; et il emplissait sa solitude. Ces quelques pieds carrés, cette chambre de souffrance, dont elle fermait si soigneusement la porte, s’ouvrait toute grande à lui par ses deux fenêtres. Bien souvent, elle avait pleuré en le regardant, lorsqu’elle venait s’accouder pour cacher ses larmes à la malade ; un jour, le jour où elle l’avait crue perdue, elle était restée longtemps, suffoquée, étranglée, suivant des yeux les fumées de la Manutention qui s’envolaient. Souvent aussi, dans les heures d’espoir, elle avait confié l’allégresse de son cœur aux lointains perdus des faubourgs. Il n’était plus un monument qui ne lui rappelât une émotion triste ou heureuse. Paris vivait de son existence. Mais jamais elle ne l’aimait davantage qu’au crépuscule, lorsque, la journée finie, il consentait à un quart d’heure d’apaisement, d’oubli et de songerie, en attendant que le gaz fût allumé.

— Que d’étoiles ! murmura l’abbé Jouve. Elles brillent par milliers.

Il venait de prendre une chaise et de s’asseoir près d’elle. Alors, elle leva les yeux, regardant le ciel d’été. Les constellations plantaient leurs clous d’or. Une