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UNE PAGE D’AMOUR.

— Voilà, dit-elle, une petite demoiselle qui s’ennuie d’être raisonnable comme une grande personne… Tenez, il y a des livres d’images sur ce guéridon.

Jeanne alla prendre un album ; mais ses regards, par-dessus le livre, se coulaient vers sa mère, d’une façon suppliante. Hélène, gagnée par le milieu de bonne grâce où elle se trouvait, ne bougeait pas ; elle était de sang calme et restait volontiers assise, pendant des heures. Pourtant, comme le valet annonçait coup sur coup trois dames, madame Berthier, madame de Guiraud et madame Levasseur, elle crut devoir se lever. Mais madame Deberle s’écria :

— Restez donc, il faut que je vous montre mon fils.

Le cercle s’élargissait devant la cheminée. Toutes ces dames parlaient à la fois. Il y en avait une qui se disait cassée ; et elle racontait que, depuis cinq jours, elle ne s’était pas couchée avant quatre heures du matin. Une autre se plaignait amèrement des nourrices ; on n’en trouvait plus une qui fût honnête. Puis, la conversation tomba sur les couturières. Madame Deberle soutint qu’une femme ne pouvait pas bien habiller ; il fallait un homme. Cependant, deux dames chuchotaient à demi-voix, et comme un silence se faisait, on entendit trois ou quatre mots : toutes se mirent à rire, en s’éventant d’une main languissante.

— Monsieur Malignon, annonça le domestique.

Un grand jeune homme entra, mis très-correctement. Il fut salué par de légères exclamations. Madame Deberle, sans se lever, lui tendit la main, en disant :

— Eh bien ! hier, au Vaudeville ?