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UNE PAGE D’AMOUR.

Elle le prit machinalement, elle le porta à mademoiselle Aurélie qui attaquait les fruits confits.

— Oh ! vous êtes trop gentille, s’écria la vieille demoiselle. J’aurais fait signe à Pierre… Voyez-vous, on a tort de ne pas offrir de punch aux dames… Quand on a mon âge…

Mais elle s’interrompit, en remarquant la pâleur d’Hélène.

— Vous souffrez décidément… Prenez donc un verre de punch.

— Merci, ce n’est rien… La chaleur est si forte…

Elle chancelait, elle retourna dans le salon désert, et se laissa tomber sur un fauteuil. Les lampes brûlaient, rougeâtres ; les bougies du lustre, très-basses, menaçaient de faire éclater les bobèches. On entendait venir de la salle à manger les adieux des derniers invités. Hélène avait oublié ce départ, elle voulait rester là, pour réfléchir. Ainsi, ce n’était pas un rêve, Juliette irait chez cet homme. Après-demain ; elle savait le jour. Oh ! elle ne se gênerait plus, c’était le cri qui revenait en elle. Puis, elle pensa que son devoir était de parler à Juliette, de lui éviter la faute. Mais cette bonne pensée la glaçait, et elle l’écartait comme importune. Dans la cheminée, qu’elle regardait fixement, une bûche éteinte craquait. L’air alourdi et dormant gardait l’odeur des chevelures.

— Tiens ! vous êtes là, cria Juliette en entrant. Ah ! c’est gentil, de ne pas être partie tout de suite… Enfin, on respire !

Et comme Hélène, surprise, faisait mine de se lever :

— Attendez donc, rien ne vous presse… Henri, donne-moi mon flacon.

Trois ou quatre personnes s’attardaient, des familiers. On s’assit devant le feu mort, on causa avec un