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UNE PAGE D’AMOUR.

une les friandises, elle les mangea, en parlant pour la poupée.

— Oh ! c’est exquis !… Jamais je n’ai mangé d’aussi bonne confiture. Où donc prenez-vous cette confiture-là, madame ? Je dirai à mon mari de m’en apporter un pot… Est-ce que c’est dans votre jardin, madame, que vous cueillez ces belles pommes ?

Elle s’endormit en jouant, elle tomba dans la chambre avec sa poupée entre les bras. Depuis le matin, elle ne s’était pas arrêtée. Ses petites jambes n’en pouvaient plus, la fatigue du jeu l’avait foudroyée ; et, endormie, elle riait encore, elle devait rêver qu’elle jouait toujours. Sa mère la coucha, inerte, abandonnée, en train de faire quelque grande partie avec les anges.

Maintenant, Hélène était seule dans la chambre. Elle s’enferma, elle passa une soirée affreuse, près du feu mort. Sa volonté lui échappait, des pensées inavouables faisaient en elle un travail sourd. C’était comme une femme méchante et sensuelle qu’elle ne connaissait point et qui lui parlait d’une voix souveraine, à laquelle elle ne pouvait désobéir. Lorsque minuit sonna, elle se coucha péniblement. Mais, au lit, ses tourments devinrent intolérables. Elle dormait à moitié, se retournait comme sur une braise. Des images, grandies par l’insomnie, la poursuivaient. Puis, une idée se planta dans son crâne. Elle avait beau la repousser, l’idée s’enfonçait, la serrait à la gorge, la prenait tout entière. Vers deux heures, elle se leva avec la raideur et la pâle résolution d’une somnambule, elle ralluma la lampe et écrivit une lettre, en déguisant son écriture. C’était une dénonciation vague, un billet de trois lignes priant le docteur Deberle de se rendre le jour même, à tel lieu, à