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LES ROUGON-MACQUART.

indifférence, cette légèreté glaçaient Hélène, qui arrivait toute brûlante de passion.

Elle voulut parler. Elle demanda, au hasard :

— Qui est-ce qui fait ce Chavigny ?

— Malignon, dit Juliette, en se tournant d’un air étonné. Il a joué Chavigny tout l’hiver dernier… L’ennuyeux, c’est qu’on ne peut pas l’avoir aux répétitions… Écoutez, mesdames, je vais lire le rôle de Chavigny. Sans cela, nous n’en sortirons jamais.

Et, dès lors, elle aussi joua, faisant l’homme, avec un grossissement involontaire de la voix et des airs cavaliers qu’elle prenait, entraînée par la situation. Madame Berthier roucoulait, la grosse madame de Guiraud se donnait une peine infinie pour être vive et spirituelle. Pierre entra mettre du bois au feu ; et, d’un regard en dessous, il examinait ces dames, qu’il trouvait drôles.

Cependant, Hélène, toujours résolue, malgré le serrement de son cœur, essaya de prendre Juliette à l’écart.

— Une minute seulement. J’ai quelque chose à vous dire.

— Oh ! impossible, ma chère… Vous voyez bien, je suis prise… Demain, si vous avez le temps.

Hélène se tut. Le ton détaché de la jeune femme l’irritait. Elle sentait une colère, à la voir si paisible, lorsqu’elle-même endurait depuis la veille une si douloureuse agonie. Un instant, elle fut sur le point de se lever et de laisser aller les choses. Elle était bien sotte de vouloir sauver cette femme ; tout son cauchemar de la nuit recommençait ; sa main, qui venait de chercher la lettre dans sa poche, la serrait, brûlante de fièvre. Pourquoi donc aurait-elle aimé les autres,